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Avril 2021

Léopold Mozart, le père biologique

Joseph Haydn, le père spirituel ?

2ème Partie : « Papa Haydn »

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« Je dois vous le dire devant Dieu, en honnête homme, votre fils est le plus grand compositeur que je connaisse, en personne et de nom, il a du goût et en outre la plus grande science de la composition ».

 

C’est donc ainsi que s’exprima Haydn à propos de Wolfgang Amadeus Mozart le 12 février 1785 à l’issue d’une soirée pendant laquelle Haydn, Leopold Mozart et les barons Tindi sont venus chez Leopold et ont joué trois des six quatuors de Wolfgang dédies à Haydn.

 

I - Haydn, prénom Franz Joseph:

 

Franz Joseph Haydn[1] naquit en 1732 soit 24 ans avant Mozart et mourut en 1809 à 77 ans, c’est à dire 18 ans après celui-ci. Sa carrière embrasse une période allant de la fin de la musique baroque jusqu’aux prémices du romantisme... Elle s’étend de l’Art de la Fugue (J.S. Bach) à la Symphonie Pastorale (L. v Beethoven) éditée en mai 1809.

 

Lorsque Beethoven retournera à Vienne pour toujours un de ses meilleurs amis et mécènes, le Comte Waldstein[2] lui donnera en 1792 la recommandation suivante : « Le Génie de Mozart est encore en deuil et pleure la mort de son disciple. En l’inépuisable Haydn, il a trouvé un refuge, mais non une occupation ; par lui, il désire encore s’unir à quelqu’un. Par une application incessante, recevez des mains de Haydn, l’esprit de Mozart. »

 

Par convention, on place la période « baroque » au début du 17ème siècle (1600). Elle se poursuit par la période « classique » à partir de 1750 laquelle s’achèverait à la fin du 18ème siècle.

La période « romantique » désigne un mouvement qui embrasserait tout le 19ème siècle[3].

La réalité n’est pas aussi tranchée et peut être différente selon les courants, allemands, français ou italiens... En effet, la fin de l’ère baroque ne signifie pas obligatoirement le début de l’ère classique, de même la charnière entre l’ère classique et l’ère romantique n’est pas aussi nette que le passage d’un siècle à l’autre.

 

Plus qu’un classement chronologique on pourrait classer les contemporains de Haydn en fonction de l’évolution stylistique de leurs compositions : à J.S. Bach le génie du « style baroque » et l’apothéose du contrepoint ; à Haydn et Mozart, la paternité du « style classique », de l’équilibre entre fantaisie et rationalité, entre invention et construction, entre charme et rigueur même si leurs compositions ne sont exemptes ni de contrastes, ni de surprises.

Le style romantique, quant à lui se caractérisera autant par l’exacerbation que par l’intériorisation des sentiments... ce que certains appellent « l’exaltation du moi », le siège des émotions au détriment de la raison.

L’orchestre va gagner en puissance et en effectifs. Sans délaisser le violon, le piano dans sa version moderne[4] prendra une place prépondérante autant comme instrument soliste que pour accompagner l’interprète de lieder.  

 

Si Haydn, Mozart et Beethoven sont considérés comme les piliers, la « triade » du classicisme viennois, ne trouve-t-on pas dans certaines de leurs compositions les prémices d’un certain romantisme ?

 

N’y-avait-il pas chez Mozart lui-même à la fois l’esprit galant du 18ème siècle, et les accents pathétiques qui annonçaient déjà l’esprit romantique du début du 19ème siècle interroge Jean-Victor Hocquart ?[5] N’oublions pas, poursuit-il que de 1770 à 1790 le préromantisme fut en Allemagne bien plus qu’une tendance latente.

 

J. Massin, à propos de Mozart[6], préfère substituer à l’expression de romantisme le qualificatif « Sturm und Drang [7]», expression née d’un mouvement littéraire viennois qui prônait la supériorité des passions sur la raison.

 

Il est souvent indiqué que les six quatuors de l’Opus 20[8] de Haydn, composés en 1772 s’inscrivent parfaitement dans le mouvement « Sturm und Drang ».

 

[1] Représenté ici dans ce portrait par Thomas Hardy.

[2] Ferdinand von Waldstein (1762-1823), compositeur, mécène recommanda à Beethoven de suivre l’enseignement et sa formation auprès de Mozart puis de Haydn lors de ses deux voyages à Vienne en 1786 puis en 1792.

[3] Les contemporains les plus célèbres de Haydn sont donc notamment 

Parmi les baroques : Pachelbel, Telemann, J.S. Bach, ... Purcell, Haendel, ... Couperin, Lully, Charpentier, Rameau, ... Monteverdi, Pergolesi, Allegri, Corelli, Scarlatti, Albinoni, Vivaldi, Porpora ...

Parmi les classiques : les fils Bach, Gluck, Gossec, Beethoven, Mozart, Pleyel

[4] Le piano « moderne » a été mis au point par Sébastien Erard (concurrent d’Ignace Pleyel). Erard est le créateur du principe du double échappement qui facilite les répétitions de notes. Le piano moderne a remplacé le forte-piano qui, se substituant au clavecin, permettait pour la première fois de jouer fort (forte) ou doux (piano), d’où son nom « forte-piano »

[5] Cf. Mozart - Ed° du Seuil.

[6] Cf. Jean & Brigitte Massin, - Mozart - Ed° CFL 1958 page 680 note 1.

[7] « Sturm und Drang » (Tempête et Passion) est à l’origine le titre d’un drame de Klinger représenté en 1777. Les caractéristiques de ce mouvement appliquées au genre musical sont : la diversité des rythmes, l’utilisation du mode mineur et de sa dimension affective, le goût pour le clair-obscur, les sonorités feutrées, la récupération du contrepoint à des fins expressives.

[8] Cf. extrait du quatuor à cordes Op 20 n° 5 (III - Adagio) par l’Orion String Quartet pour Chamber Music Society of Lincoln Center.

L. van Beethoven (1770-1827), Carl Maria von Weber[9] (1786-1826), mais aussi Franz Schubert (1797-1828) devraient plutôt trouver leur place dans une période véritablement « pré-romantique » tant s’incarnent en eux les différents genres cultivés ensuite par les compositeurs romantiques. D’ailleurs, Beethoven pourrait être considéré comme « l’un des derniers classiques par la forme et l’un des premiers romantiques par la mise en valeur de grands idéaux »[10]. Chez Beethoven la musique prend figure de message jusqu’au message universel délivré entre autre par la Symphonie n°9.

 

Mais revenons aux relations entre Mozart et Haydn.

 

II - Pourquoi « Papa Haydn » ?

 

Pendant des années le surnom de « Papa Haydn » a caractérisé le compositeur.

 

Plusieurs explications ont été données à l’origine de ce qualificatif :

 

D’abord ce sont les musiciens qu’Haydn avait la charge de diriger à la Cour du Prince Esterhazy en qualité de kapellmeister qui l’auraient ainsi baptisé en raison de l’autorité bienveillante qu’il nourrissait à leur égard.

 

On rappellera ici l’anecdote de la « Symphonie des adieux »[11] qui témoignerait de la volonté d’Haydn d’agir au nom de ses subordonnés qui, harassés, réclamaient des vacances. Dans la deuxième partie du dernier mouvement de la symphonie, les musiciens cessent tour à tour de jouer et quittent progressivement l’ensemble... Le message est relativement clair, la métaphore fonctionnera et Esterhazy leur accordera le congé qu’ils quémandaient.

 

 

[9] C.M. von Weber se trouve être le cousin de Constance Weber et donc le cousin par alliance de Mozart.

[10] CF. Le romantisme en musique in Encyclopédie Larousse.

[11] Cf. extrait du dernier mouvement de la symphonie des Adieux - IV. Finale (Concert du Nouvel an Vienne 2009 Barenboïm).

Une autre explication tendrait à attribuer à Haydn la paternité du développement de la symphonie et du quatuor à cordes ; Haydn « père de la symphonie », Haydn « père du quatuor à cordes ».

 

Pour ce qui est de la symphonie, le propos est sans doute excessif. Cependant, bien que la symphonie existât avant la naissance de Haydn[12], celui-ci a eu certainement une influence cruciale dans l’élaboration d’un nouveau style symphonique. C’est sans doute Haydn qui guida la symphonie vers sa maturité... il en écrira 106 !

 

Pour ce qui est du quatuor à cordes, même si Haydn n’est pas le premier compositeur à avoir écrit pour des ensembles de cordes à effectif retreint, son apport fut essentiel. Il en composera 68 [13], souvent par bouquets de six.

On dit que ce sont les six quatuors à cordes Opus 20[14] qui auraient valu à leur auteur le surnom de « père du quatuor à cordes ».

 

 

[12] Cf. par exemple « La symphonie des Plaisirs » de J.B. Lully (1632-1687) ou « La Symphonie pour les Soupers du Roy » de M. Delalande (1657-1726).

[13] On pourrait ajouter la version initialement composée pour orchestre des « Sept dernières paroles de Jésus sur la croix » et transposée pour quatuor à cordes.

[14] Quatuors connus sous le nom de « Quatuors du Soleil ». Cf. extrait du quatuor à cordes Op 20 n° 5 (I - Moderato) par l’Orion String Quartet pour Chamber Music Society of Lincoln Center.

Mozart qui n’a pas encore rencontré Haydn, sous le choc de la découverte des quatuors dits « du soleil », écrira coup sur coup en 1773 sa série de six quatuors dits « viennois », il a 17 ans.

 

Tous les biographes s’accordent pour dire que c’est Haydn qui a scellé les règles du quatuor à cordes : la composition de l’ensemble ? deux violons, un alto, un violoncelle ; l’équilibre de l’ensemble ? les quatre instruments conversent, dialoguent, communient ou se confrontent mais s’expriment toujours sur un pied d’égalité. Haydn limite à quatre le nombre de mouvements dans un quatuor.

 

Goethe écrira à propos du quatuor[15] : « Nous entendons discuter quatre personnes intelligentes, nous pensons saisir des morceaux de leur conversation tout en découvrant quelque chose des spécificités des instruments »

La métaphore de la conversation capture bien les deux caractéristiques du style : sa nature intime et personnelle ainsi que sa capacité à transmettre une pensée musicale profonde à travers les ingrédients essentiels d’harmonie et de contrepoint[16].

 

C’est la découverte des quatuors de l’Opus 33 appelés « Quatuors russes » de Haydn composés en 1781 soit neuf ans après l’Opus 20 qui inspirera à nouveau Mozart. Comme son aîné, Mozart avait abandonné le genre pendant 9 ans. Profondément impressionné par les quatuors Op. 33 de Haydn, Mozart voulut se hisser au niveau de son modèle. Il composera les quatuors dédiés à Joseph Haydn de 1782 à 1785 qui sont, de son aveu, le fruit d’un long et pénible travail.

 

Sept mois après le compliment de « Papa Haydn » sur Wolfgang[17], l’éditeur viennois Artaria publiera les six « Quatuors dédiés à Haydn ». Cette publication sera accompagnée de la célèbre dédicace si émouvante de Wolfgang à son ami :

 

« A Mon cher ami Haydn. 

Un père qui s’était résolu à envoyer ses enfants dans le monde estima de son devoir de les placer sous la protection d’un homme célèbre qui était également son meilleur ami. De même, je t’envoie mes six enfants (les six quatuors) à toi qui est à la fois un homme célèbre et un ami cher. Ils sont le fruit d’un long et dur labeur... Qu’il te  plaise donc de les accueillir avec bienveillance et d’être leur père, leur guide et leur ami ! ... Je te supplie de regarder avec indulgence les défauts que l’œil partial de leur père peut m’avoir cachés, et de conserver malgré eux, ta généreuse amitié à celui qui l’apprécie tant.

Car je suis de tout cœur, ami très cher,

Ton bien sincère ami. »

 

Nous recommandons l’écoute du quatuor n° 19 K 465 en Ut mineur « Les dissonances » (notamment le premier mouvement - Adagio)[18]. Bien évidemment on y entend des dissonances, des frottements étranges de notes, qui, lorsqu’on ne connait pas l’œuvre, nous laisse interrogatif sur son auteur. Certains musiciens bien intentionnés furent tentés de corriger les anomalies dont elle souffrait et, bien que lui-même fut assez troublé, Haydn défendit Mozart en disant : « Il doit avoir ses raisons ».

III - « Le Lundi Mozart compose comme Haydn, le mardi Haydn compose comme Mozart ».

 

On se souviendra de la phrase la plus célèbre de Montaigne lorsqu’on évoque son amitié avec La Boetie : « Si je suis pressé de dire pourquoi je l’aimais, je pense que cela ne peut s’expliquer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Ainsi l’auteur des Essais résuma-t-il la fulgurante amitié qui lia les deux hommes de 1558 à 1563. La Boétie avait d’ailleurs eu une vision prémonitoire de ce succès posthume, lorsqu’il écrivit à Montaigne dans un long poème : « Si le destin le veut, la postérité, sois en sûr, portera nos deux noms sur la liste des amis célèbres ».[19]

 

« Le Lundi Mozart compose comme Haydn, le mardi Haydn compose comme Mozart ». On pourrait être tenté de voir en ce dicton qui courait encore à Vienne au milieu du 19ème siècle l’équivalent de la phrase de Montaigne... Il est vrai que comme Montaigne et La Boétie, Mozart et Haydn figurent dans la liste des amis célèbres.

 

Pourtant, ainsi que l’écrit Jean Massin[20], l’amitié entre les deux hommes est d’autant plus belle qu’ils sont profondément différents tant sur le plan du caractère que sur celui de l’esthétique.

 

Plutôt qu’une paternité spirituelle, c’est donc une profonde amitié doublée d’une sincère admiration qui définit les liens entre Mozart et Haydn. On y ajoutera bien évidemment la fraternité maçonne. Mozart et Haydn ont été, rappelons-le, initiés dans la même Loge à deux mois d’écart en décembre 1784 et en février 1785.

 

Mozart a pour Haydn une estime sincère et ne souffre pas qu’on le dénigre ou qu’on le diminue.

J. F. Rochlitz rapporte l’anecdote d’un échange entre Mozart et un compositeur très critique à l’égard d’une œuvre nouvelle de Haydn : je n’aurais pas fait cela comme ci, ni cela comme ça...

« Monsieur - répondit Mozart avec une vivacité extrêm -, quand bien même on nous fondrait tous les deux ensemble, il faudrait encore du temps pour qu’en sortît un Haydn... Personne ne peut tout faire - badiner et toucher, faire rire et émouvoir - tout cela aussi bien que Joseph Haydn »[21].

 

Il ne cache jamais son affection admirative « Lui seul a le secret de me faire sourire, de me toucher au plus profond de mon âme … ». Cette confidence de Mozart montre combien les deux hommes s’apprécient mutuellement. Jamais Mozart ne parlait sans la plus grande estime de ce Maître bien qu’ils vécussent dans la même ville si friande de nouveautés musicales autant que des potins qui alimentent les conversations et alors même qu’il ne manquât ni à l’un ni à l’autre de prétextes à jalousie réciproque.

 

De son côté, dès qu’il rencontra Mozart et entendit ses œuvres, Haydn reconnut le génie de Mozart.

 

En décembre 1787, un bourgeois de Prague lui demande d'écrire un opéra bouffe. Sa réponse ? Engagez Mozart ! « Qui peut se comparer au grand Mozart ? Si je pouvais graver dans l'esprit de tout ami de la musique, mais surtout dans l'esprit des puissants, à quel point sont inimitables, profondes, intelligentes et sensibles les œuvres de Mozart, les nations rivaliseraient non seulement pour accueillir ce joyau, mais aussi le garder et le récompenser. La vie des grands génies peut être triste : j'enrage que Mozart, l'incomparable, ne soit pas encore appointé à une cour royale ou impériale. Pardonnez-moi si je m'emporte : j'aime si sincèrement cet homme !»

 

A la mort de Mozart, Haydn écrira « J’ai été longtemps hors de moi par la mort de Mozart ; je ne pouvais croire que la Providence ait rappelé si tôt un homme irremplaçable. Par-dessus tout, je regrette que Mozart n’ait pas eu avant de mourir l’occasion de convaincre les anglais qui l’ignorent encore, de la vérité de son talent que je leur prêche quotidiennement. »


 

 

[15] Lettre de Goethe à son ami le compositeur C.F. Zelter.

[16] Cf. S. Hinton in “Defining string quartet: Haydn” for Stanford School of Humanities and Sciences.

[17] Cf. l’opinion de J. Haydn la soirée du 12 février 1785 introduction op.cit.

[18] Cf. sur youtube la version par le quatuor Cambini-Paris enregistré en direct pour France musique.

[19] Cf. repris par Catherine Vincent pour le Monde - article du 21 Juin 2005.

[20] Cf. Jean & Brigitte Massin, - Mozart - Ed° CFL 1958 page 442 et s.

[21] Cité par Johann Friedrich Rochlitz (1769-1842) dramaturge allemand, ami de Goethe, Schiller, également musicologue et critique d'art.

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