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"Découvrons la Galilée
avec Mozart"
Novembre 2020

II - 1791, La Flûte enchantée opéra maçonnique - mythe ou réalité ?

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Après avoir décrit le tournant maçonnique de Mozart[1], il était difficile de ne pas poursuivre immédiatement par une évocation de son avant dernier opéra : Die Zauberflöte / La Flûte enchantée. En effet, même s’il n’est pas destiné à l’usage des loges, son opéra est étroitement lié aux idées de Mozart sur la franc-maçonnerie et sur la société.

 

Mozart a toujours considéré la composition d’opéras comme un des ses travaux préférés. C’est donc avec bonheur qu’il accepte en ce printemps de 1791 la proposition de son ami et frère-maçon Emanuel Schikaneder de composer, à nouveau en allemand, un opéra féérique pour le théâtre « Auf der Wienden » situé dans un faubourg populaire de Vienne et dont le livret est écrit par Schikaneder lui-même qui se réserve déjà le rôle de Papageno.

 

Pour répondre au goût d’un public populaire simple...le théâtre de Schikaneder, offrait avant tout des « Singspiel » (œuvres alternant airs, duos, ensembles et chœurs séparés par des dialogues parlés) et des pièces féériques avec des mises en scène spectaculaires, machineries compliquées, animaux vivants, éclairs et tonnerre, péripéties extraordinaires dans l’action[2]... Mais Il ne faut pas s’imaginer que Mozart composa La Flûte enchantée pour le public inculte d’un théâtre de seconde catégorie. L’élite intellectuelle, l’aristocratie et l’empereur lui-même n’hésitaient pas à se mêler aux spectateurs plus simples et peu cultivés.

 

Mozart accepte donc la commande et compose en 6 mois un opéra destiné directement à un public populaire viennois « tout en étant crypté pour les vrais connaisseurs ».[3] Il se conforme à la tradition du « singspiel ». L’opéra est achevé le 28 septembre 1791 (un peu plus de deux mois avant sa mort) ; le 29 a lieu la répétition générale. La première, dirigée au clavecin par Mozart lui-même a lieu le 30 septembre. A la fin du premier acte, le succès est encore incertain, le public est déconcerté bien qu’il se rende compte qu’il découvrait une œuvre qui dépassait de très haut les productions habituelles du théâtre de Schikaneder. Mais dès le deuxième acte, c’est l’enthousiasme et l’adhésion du public augmentera chaque soir pendant près de 100 représentations... Le peuple de Vienne va adopter cette Flûte Enchantée qu’ils feront sienne. Mozart assistera presque à chaque représentation au spectacle en se mêlant au public (op.cit note 2).

 

Dans une lettre à Constance il écrit le 7 octobre : « Je rentre à l’instant de l’opéra. C’était aussi plein que les autres fois. Le duetto - Mann und Weib - et le glockenspiel du premier acte furent bissés comme d’habitude... mais ce qui me réjouit le plus, c’est le succès qui s’affirme par le silence ! On voit très bien comment cet opéra monte de plus en plus, dans l’opinion... ».

 

[1] Cf. notre précédente NL précédente

[2] Cf. commentaire musical de H. Halbeich : L’Avant-Scène Opéra N°196.

[3] Cf. Philippe Sollers, Mystérieux Mozart 2001

Le 14 octobre il écrit à nouveau : « Très chère, excellente, petite femme, hier au soir,.. à 6heures j’ai été cherché Salieri et la Cavalieri et les ai amenés dans la loge... Tu ne peux croire combien tous deux ont été aimables... ils ont dit tous deux que c’est là un opéra digne d’être représenté ... devant les plus grands monarques et qu’ils viendraient sûrement l’entendre très souvent... Lui (Salieri) a écouté et regardé avec pleine attention, et depuis l’ouverture jusqu’au dernier chœur, il n’est pas un morceau qui ne lui ait arraché un « bravo » ou un « bello »...

 

Le public viennois ne sera pas le seul, à plébisciter la Flûte enchantée. Lorsque la Conseillère de Goethe verra l’opéra à Francfort en 1793 elle fera ce commentaire « ...Tous les ouvriers, tous les jardiniers y vont, et jusqu’aux brave gens de Sachsenhausen dont les enfants tiennent les rôles de lions et de singes dans l’opéra. On est obligé d’ouvrir le théâtre dès 4 heures et, avec tout cela, il y a chaque fois plusieurs centaines de personnes obligées de s’en retourner sans avoir pu trouver de place ... La semaine dernière, on a donné pour la vingt-quatrième fois la Flûte enchantée, devant une salle bondée...».[4]

 

En effet, rien ne manque à la féérie de ce livret foisonnant : on y croise un dragon, une Reine de la Nuit, un homme-oiseau resté proche de l’enfance, un méchant et ridicule geôlier, des coups de tonnerre et des animaux ensorcelés par la musique d’une flûte magique. Derrière cette grande inventivité dans le merveilleux, on devine aisément plusieurs niveaux de lecture complémentaires. Sommes-nous dans le divertissement ou dans un ouvrage subtilement codé s’interroge Catherine Duault[5] ?

 

Si le public accueille parfois les passages les plus sérieux de l’œuvre en riant, il faut voir dans le passage purement parlé, sans musique du deuxième acte (le dialogue entre Sarastro et les Prêtres réunis pour décider de l’admission de Tamino aux épreuves initiatiques), le passage le plus important du point de vue idéologique et philosophique.

 

Ce passage qui intervient après la marche des prêtres est précédé du « triple accord » joué par les instruments à vents et les cors de basset (cf. ci-après la symbolique du 3). Sarastro prend la parole et son discours donne enfin au public les explications nécessaires : la Reine de la Nuit veut imposer au peuple l’obscurantisme et la superstition, bref la nuit de l’esprit. C’est pourquoi Pamina (sa fille) lui a été arrachée et destinée au Prince Tamino qui doit remporter la victoire sur les ténèbres au service de l’humanité entière. Sa qualité de Prince ne l’en empêchera-t-il pas ? Non répond Sarastro car Tamino est plus que Prince, il est homme. Ce message essentiel, dont Mozart tenait tellement à ce qu’il soit pris au sérieux, est ponctué à trois reprises par les sonorités majestueuses du « triple accord ». Puis Sarastro envoie chercher Tamino et Papageno afin de les présenter aux épreuves initiatiques et avant de lever l’assemblée entonne son premier air « O Isis und Osiris »

 

[4] Propos repris par Jean et Brigitte Massin, Mozart 1958 - CFL.

[5] Cf. C. Duault - Opéra on line - La flute enchantée, féérie et richesse d’un conte initiatique.

Dans son commentaire H. Halbeich juge que les farces et les grimaces de Papageno constituent un élément vital de l’opéra, celui qui rend justement le message élevé de la philosophie des lumières accessible et attrayant également pour un public populaire le plus large possible. « Sans cette dimension de gaité simple..., la Flûte enchantée ne serait qu’une pièce didactique, ennuyeuse, pompeuse et pédante promise à l’oubli » (op.cit. note 2).

 

Goethe jugea qu’il : « fallait plus de savoir pour reconnaître la valeur de ce livret que pour le nier...Il suffit que la foule prenne plaisir à la vision du spectacle : aux initiés n’échappera pas, dans le même temps, sa haute signification... »

 

Venons-en justement aux « initiés ».

 

Il existe beaucoup d’écrits sur les éléments maçonniques de la Flûte enchantée. Dans son commentaire musical, (op.cit. note 2) H. Halbeich estime que « sans tomber dans le systématisme exacerbé d’un Jacques Chailley[6] qui va débusquer partout des symboles numériques bien au-delà des intentions de Mozart, il faut reconnaître que le chiffre franc-maçonnique 3 est présent partout notamment la tonalité de départ et d’arrivée (le Mi bémol majeur et ses 3 bémols à la clef), ... les Dames, les Jeunes Garçons, les Temples et les Portes qui sont au nombre de 3 ».

 

Si on se réfère aux travaux sur la symbolique du nombre 3 publiés par la bibliothèque maçonnique [7] on peut lire notamment que le nombre est le nombre de l’Apprenti. L’Apprenti a 3 ans car il n’est initié qu’aux Mystères des Premiers Nombres. Le nombre 3 a, par ailleurs, une place très importante et très présente dans le rituel au grade d’Apprenti. Pour qu’une Loge soit juste et parfaite, le nombre est encore présent, car 3 la dirigent. Pour la soutenir, Grands Piliers sont nécessaires qu’on nomme Sagesse, Force et Beauté. A maintes reprises, on trouve la notion ternaire associée aux pratiques maçonniques 3 pas, 3 coups, Triple batterie, Triple acclamation. 

 

Mais la numérologie est-elle l’apanage de la Franc-maçonnerie ?

 

Le rédacteur de la « planche » publiée par la bibliothèque maçonnique (cf. note 7 op. cit.) rappelle à juste titre que si dans l’univers maçonnique les nombres tiennent une place importante, c’est en premier lieu, par le fait que la science des bâtisseurs d’autrefois reposait initialement sur la connaissance des nombres, qui était à l’origine de toute construction d’édifice... Cette maîtrise remonte aux plus lointaines civilisations (égyptienne, grecque…), qui à travers elle, ont légué certaines de leurs connaissances les plus essentielles. Le nombre d’Or, les systèmes de Pythagore et la Kabbale juive sont quelques-unes des expressions les plus significatives et toutes les approches numérologiques tendent à une classification et une explication de chaque chose en fonction du ou des nombres auxquels elle se rapporte.

 

Dans le Rituel de l’Apprenti, le Maçon est reçu par 3 coups de maillet. Pour être introduit en Loge, 3 Grands Coups sont donnés (cf. note 7 op. cit.). Dans son commentaire H. Halbeich évoque le « triple accord » au début de l’Ouverture qui revient par la suite à plusieurs reprises comme un appel à la manière d’un leitmotiv (notamment au deuxième acte comme indiqué ci-dessus avant l’air de Sarastro). « On trouve, dit-il, dans le livret maintes triades franc-maçonniques : Vertu-Discrétion-Bienveillance ou Sagesse-Force-Patience, ou encore Intelligence-Labeur-Arts. L’orchestration privilégie particulièrement les instruments à vent franc-maçonniques, surtout les clarinettes, les cors de basset et les solennels trombones ». Ainsi par exemple, la prière à Isis et Osiris prend les allures d’un choral orchestré pour une formation franc-maçonnique restreinte entièrement faite d’instruments graves (dont une grande partie d’instruments à vent) se mariant parfaitement aux voix d’hommes dont Sarastro dans la tessiture de l’extrême grave.

 

Lors de l’initiation, le Néophyte accompli 3 Voyages. Le Premier Voyage est celui de l’Épreuve de l’Air, le deuxième Voyage est celui de l’Épreuve de l’Eau et le Troisième est celui de l’Épreuve du Feu (cf. note 7 op. cit.). Dans l’opéra de Mozart, Les épreuves initiatiques que traversent le couple noble formé par Tamino et Pamina et le couple comique constitué de Papageno et Papagena, s’inspirent essentiellement des rites maçonniques (dont l’épreuve du Feu et de l’Eau). Chacun découvre à sa manière et à son niveau qu’il ne faut pas se fier aux apparences pour accéder à la vérité dans la fraternité et la sagesse (cf. note 5 op.cit.).

 

Avant d’achever cette lettre, il convient de noter, ainsi que l’évoque Philippe A. Autexier pour le Dictionnaire Mozart que celui-ci était partisan de l’égalité des sexes et croyait les femmes dignes d’être initiées. Dans le second finale de l’opéra, Pamina et Tamino subissent les épreuves initiatiques main dans la main.

 

Pour nos lecteurs qui souhaiteraient une vision et une analyse complémentaire intéressante de la Flûte enchantée écrite par Jean van Win écrivain et traducteur belge spécialisé en musicologie et maçonnologie, nous renvoyons au blog maçonnique accessible à partir du lien mentionné ci-après[8].  

 

Testament musical, La Flûte enchantée peut apparaître comme un testament spirituel. Le conte de fées initiatique délivre un message philosophique inspiré par les idéaux de la franc-maçonnerie. Mais au-delà de la symbolique maçonnique, l’ultime chef-d’œuvre lyrique de Mozart est composé pour toucher tous les publics. La Flûte enchantée n’est pas une œuvre réservée aux seuls initiés comme en témoigne cet immense succès qui ne s’est jamais démenti. Nul besoin d’être initié pour se laisser entraîner dans ce monde merveilleux où l’on découvre les chemins qui mènent des ténèbres vers la lumière de la sagesse et de la beauté. Au-delà des symboles maçonniques Mozart délivre un message universel de tolérance et de fraternité (cf. note 5 op.cit.).

***

La veille de sa mort, Mozart disait encore à sa femme : « Je voudrais bien entendre une dernière fois ma Flûte enchantée, et il fredonna - Der Vogelfänger bin ich, ja - (Air de Papageno). Feu M. le Kapellmeister Roser, qui était à son chevet se leva, se mit au piano et chanta le lied ; et Mozart en manifesta une joie visible.[9]

 

[6] Jacques Chailley, célèbre musicologue français a publié en 1968 une exégèse de la Flûte Enchantée.

[7] Cf. https://www.ledifice.net/3024-7.html

[8] Cf. https://www.hiram.be/la-veritable-signification-de-la-flute-enchantee-de-mozart/ publié avec l’accord de son auteur Jean van Win à l’appui d’une étude de Robert Wangermée.

[9] Cf. Souvenirs de Constance Mozart - 1857 rapportés par Jean et Brigitte Massin.

Références Biographiques :

Une grande partie de cette lettre est tirée du commentaire musical de H. Halbeich in L’Avant-Scène Opéra N°196 - La Flûte enchantée. Mais aussi de

https://www.ledifice.net/3024-7.html

https://www.opera-online.com/articles/la-flute-enchantee-feerie-et-richesse-dun-conte-initiatique  

Jean et Brigitte Massin, Mozart 1958 - CFL.

Philippe Sollers, Mystérieux Mozart 2001 - Plon.

Philippe A. Autexier (historien de la musique) pour le Dictionnaire Mozart - Lattes - réunissant des articles de plusieurs auteurs sous la direction de H.C. Robbins Landon.

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